REMARQUES
SUR LA LETTRE
Du PRINCE de NASSAU
AU ROI DE SUÉDE.

NOUVELLE EDITION.


à STOCKHOLM,
Chèz JEAN CHRIST. HOLMBERG, 1790.


Il circule dans la Ville *) depuis quelques jours une Lettre au Roi de Suede, attribuée au Prince de Nassau. La voici.


SIRE!

Lorsque V.M. me fit dernièrement l'honneur de m'écrire, Elle me dit, qu'Elle s'adressait à un Chevalier, qui cherchait partout la gloire & l'honneur; Je chercherai certainement, Sire, toute ma vie à justifier l'opinion de V.M. mais lorsqu'on cherche l'honneur, on ne souffre rien de ce qui peut faire soupçonner la loyauté, & l'on n'avance rien, qui ne soit vrai, & qui ne puisse se soutenir, & se prouver à la face de l'Univers. C'est ce sentiment, qui m'a fait lire avec indignation dans la Gazette de Hambourg une prétendue rélation du Combat que j'ai eû l'honneur de soutenir contre la Flotte des Galères de V.M. Cette rélation, Sire, paroit démentir la mienne; elle est en plusieurs points absolument contraire à la vérité, & l'ai été surpris, qu'on qit eû l'audace de mettre un nom aussi respectable, que celui de V.M. au bas d'un écrit rempli d'erreurs & de faussetés. J'espere que V.M. en aura été irritée comme moi, & qu'Elle ne me refusera pas de la faire supprimer; & de rendre hommage à la vérité. Si contre toute vraisemblance V.M. avait autorisé la publication d'une relation si inexacte, je croirais, qu'Elle a été criminellement trompée par les rapports, qu'Elle a reçu, & sa loyauté, la prémière Vertu des Rois, l'engagerait sans doute à la dèsavouer, & à punir les Officiers, qui Lui auraient rendu ce compte infidèle. Je joins à cette Lettre la réfutation de cette inconcevable relation, dont j'ai revelé toutes les erreurs: mon honneur est garant de la vérité de ce que j'avance. J'ai pour témoins les Prisonniers, que nous avons fait, les Vaisseaux, dont nous nous sommes emparés, la Flotte que je commandais, & qui, loin d'être maltraitée, a tenu toute entière la Mer 18 jours après le combat, a croisé sans obstacles à 12 Verstes de Louisa, & ne s'est retirée, qu'après avoir essuyé le coup de vent du 12 Septembre. Une partie de cette Escadre est encore en Mer, & serait prète à livrer des nouveaux combats, mais elle ne rencontre plus de Combattans.

Je suis persuadé, Sire, que V.M. connait trop bien les Loix de l'honneur, pour ne pas approuver la chaleur, avec laquelle je défends le mien, que je croirais blessé, si l'on pouvait douter un instant de l'exactitude des relations, que j'ai faites, & que S.M. l'Impératrice a permis de publier.

Les mêmes motifs, qui m'ont dicté cette Lettre, me font un devoir de la rendre publique, & la Reponse, que j'espere, m'autorisera sans doute à répéter aussi publiquement les assûrances du très profond respect, que j'ai voué à V.M. & avec lequel j'ai l'honneur d'être.

à St. Petersbourg, ce 20 Septembre 1789.


Cette Lettre est unique. Un Contre-Amiral Russe, qui sert sous les Ordres du Général Moussin-Pouschkin, a pu oublier à un tel point, qui il est, & à quiilparle. On serait tenté de croire la Lettre supposée; car comment s'imaginer, qu'un Officier, qui est élévé dans la politesse Françoise; qui se décore du nom d'une illustre Maison de l'Allemagne, qui durant le tems, qu'il a servi la France & l'Espagne, a été reconnu aussi loyal, que brave, ait pû changer de caractère, comme d'habit, & adopter avec l'uniforme Russe l'envie de manquer à un Souverain, qui assûrement lui a fait beaucoup trop d'honneur en lui adressant, l'été passé, une Lettre remplie de bonté. Le fond du caractère d'un vrai Militaire doit être la loyauté. Elle exige de rendre à chacun ce qui lui est dû, de la politesse à ses égaux, des égards à des supérieurs, & du respect aux Têtes couronnées. Celui, qui y manque, ne fait pas vivre. Les mépris du Public est sa punition, & la honte, s'il en est capable.

Personne ne dispute à Mr de Nassau d'avoir fait des prisonniers, & de s'être emparé de batimens Suédois. Il n'y a en tout cela rien d'étonnant, vû la supériorité de ses forces. Si quelque chose doit étonner le Public, c'est qu'il n'a pas fait plus. Un Etranger venant de St. Petersbourg, & qui avoit lui-même été à Cronstadt, nous a conté ici l'état, dans lequel il avoit vu bien des batimens des Escadres Russes, maltraités non pas par le vent, mais par de bons coups de canon. Loin pourtant de croire possible, qu'un si petit nombre de bâtimens Suédois ait pu avoir le tems, durant 14 heures de combat, de ruiner les nombreuses Escadres Russes, on conçoit qu'il doit y avoir eû des bâtimens de reste, pour croiser jusqu'au 12 Septembre dans un espace de 12 Verstes. Nous autres Polonois nous sommes un peu étonnés de voir, que les Escadres Russes n'ayent eû d'autre but, que celui-là.

A leur sortie on nous disoit, qu'elles dévoient aller débarquer en Scanie & puis à Stockholm. Le nombre des batimens, qu'on exaltait, la force des troupes de débarquement, qu'on nous vantoit, nous fit au moins supposer, qu'il était question de la Finlande Suédoise. A l'arrivée de la nouvelle de l'action du 24 Août, on nous parlait de poursuivre le Roi de Suède, de faire un débarquement, d'écraser la Suède; mais Monsieur de Nassau nous avertit, qu'il ne voulait, que se faire voir devant Louisa. Il veut apparemment dire la forteresse de Svartholmen.

La modestie est louable, tandis que de l'autre côté on a poussé l'effronterie si loin, que le Baron de Rayalin a osé le 26 Août présenter en bataille une division des galères Suédoises à l'Escadre Russe, stationnée à Porkala. On a repoussé avec perte ceux, qui voulaient enlever des transports Suédois. La communication avec Svartholmen n'a jamais éte coupée. Ce qui a beaucoup facilité les mesures prises pour la reparation & le renforcement de l'Escadre, qui avoit combattu le 24 Août. Si le Prince de Nassau s'était trouvé en état d'agir, il l'aurait empêché, ou il aurait trahi les intérêts de la Souveraine, qui lui a consié ses Escadres. Il n'a qu'à choisir le rôle, qui lui plait. Son honneur est garant de la vérité de ce qu'il avance. Son honneur doit être garant, qu'il ne neglige aucune occasion de bien servir. Je ne sais comment concilier ce qu'il parait y avoir de contradictoire dans son point d'honneur.

Durant le courant du mois de Septembre on a fait plusieurs tentatives de débarquer en Finlande pour brûler, piller, & devaster, mais il faut rendre justice aux Escadres de Mr. de Nassau: ce n'étaient pas elles. C'étoit la grande Flotte Russe.

Monsieur de Nassau, si délicat sur son honneur, ose attaquer d'une manière très peu délicate les Officiers de la Marine Suédoise. Leur honneur vaut pour le moins celui de Mr de Nassau. Ils ne vendent pas leur sang au plus offrant. Citoyens durant la paix, c'est quand la Patrie le demande, qu'ils prennent les armes; & comment ils savent s'en servir, ils l'ont assez prouvé dans la sanglante action, où ils ont tenu tête, avec une intrépidité digne de leurs Ancêtres, aux forces si supérieures, avec lesquelles déja au commencement de la campagne on menaçoit la ruine de la Suède. La Russe avoit fourni les Soldats & les bâtimens; & les têtes, qui devoient diriger ces Corps nombreux, étoient tirées des différentes Nations de l'Europe.

Le Chevalier Litta de l'Italie, Mr Balay de l'Irlande, Mr Winter de la Hollande, Mr Varages de la France; sans compter Monsieur de Nassau lui-même, qui n'étant précisement d'aucune Nation, tient un peu de plusieurs. Nous l'avons vu successivement François, Espagnol, Allemand, Polonois, & maintenant nous le voyons Russe.

Il brille dans la liste, que je viens de faire, des noms de guerriers, que leurs faits ont illustrés. La gloire d'avoir dignement combattu, & eux & les troupes nombreuses, qu'ils commandoient, est si grande, & la nécessité de céder au nombre si évidente, que les Officiers Suédois n'ont pas eû besoin de s'écarter de la vérité dans leur relation.

Voyons pourtant, s'ils s'en sont rendus coupables. Analysons cette soi-disante rèfutation, par laquelle Mr de Nassau parait constater le fond de la rélation, qu'il attaque avec tant d'indécence; & contredire quelques details. On ne croit pas avoir besoin d'observer, qu'il y a une grande différence entre une assertion contraire, & une réfutation.

Le Roi de Suéde nomme parmi les Commandants des Escadres Russes le Vice-Amiral Kruss, & le Prince de Nassau; observé:

C'étoit le Général-Major Balay & non le Vice Admiral Kruss, qui étoit à St. Petersbourg dans ce moment-là.

Ceci prouve clairement, que le Roi de Suéde ignoroit les intrigues, qui avoient fait rappeller Mr de Kruss. Il n'est pas ici question d'un nom plutôt que d'un autre. Si Monsieur Balay a dignement rempli sa place, l'observation de Monsieur de Nassau est minutieuse & inutile; s'il ne l'a pas fait, on auroit pu se passer de rappeller Mr de Kruss.

Il est faux, que la Division, qui était venuë d'Aspö, ait été entièrement battuë. Mr le Général-Major Balay, qui commandait la division de l'Escadre, qui était partie d'Aspö, pour former l'attaque de l'Ouëst, avait 20 bâtimens sous ses ordres, & non 28, un Frégate, sept Chebecks, un Oudamas, deux Bombardes, deux Cntters [!], six Chaloupes canonières, & un Paquebot.

Mon intention était, qu'il se formât de manière à empêcher la retraite de l'armée; mais au moment que son Avant-Garde composée de deux Chebecks, deux Bombardes, un Paquebot, & six Chaloupes canonières, commença le feu, ce Général s'apperçut, que les passes, par où devait arriver le Corps d'armée, où je me trouvais, avaient été fermées. Il crut ne pas devoir attaquer avec toutes ses forces, ainsi que je l'avais ordonné, & il se contenta d'établir une forte canonade à une grande portée; voulant attendre, que j'eûsse trouvé le moyen de passer, & imaginant que, si je trouvais des difficultés vraiment insurmontables, je tournerais pendant la nuit l'isle Koutsalmouline avec toutes mes forces, pour le joindre, & continuer le combat, qui dès-lors ne pouvait plus être incertain. La belle défense, qu'a faite l'Armée Suédoise, & la position avantageuse qu'elle avait pour s'opposer au passage des passes, (où Mr. le Premier Amiral Ehrenswärd avoit fait couler des bâtimens, espérant par-là rendre impracticables) nous ayant obligé de combattre long têms avant de pouvoir passer, Mr le Général Balay, qui avoit commencé le feu à 10 heures du matin, crut vers les 4 heures devoir prendre une position, entre les Isles Legma & Vicar, où il pût m'attendre.

Il est vrai, que nous avons très peu de raison d'ajouter foi aux relations Russes, les ayant toujours trouvé plus ou moins brodées; mais Monsieur de Nassau est à même de savoir les forces de Monsieur de Balay, & il nous en donne le dénombrement; ce qui est si rare parmi les Russes; prenons pour donné, que l'Escadre d'Aspö n'avoit que 20 batimens, c'est-à-dire presque la moitié de toute l'Escadre Suédoise.

L'intention du Prince de Nassau, si elle était signifiée au Général Balay, était un ordre du Chef d'Escadre, auquel aucun raisonnement quelconque ne devait le dispenser d'obéir, s'il était en état de le faire. On est très étonné de n'avoir pas entendu parler d'une accusation intentée par Monsieur de Nassau contre le Général Balay devant un Conseil de guerre, à cause de cette désobéissance. Ce dernier auroit alors eû occasion de prouver son innocence, au lieu qu'à présent il se voit traduit devant toute l'Europe, comme la principale cause de l'occasion, qu'à eû l'Escadre Suédoise d'achever sa retraite. On conçoit, que cela doit être sensible à un galant homme, qui selon ce que nous ont dit plusieurs Voyageurs, venants de Petersbourg, a bien bravement combattu dans cette sanglante journée.

Une Bombarde & un Paquebot, que des Chaloupes canonières, qui s'en étaient approchées, avaient tellement maltraités, que presque tous les Officiers & équipages avoient péri, ont été abandonnés. Ce qui ne fait pas 3 bâtimens pris; aucun autre n'a amené son pavillon.

Ne pourroit-ce pas être le malheur arrivé au Paquebot & à la Bombarde, qui a fait prendre au Général Balay la résolution détablir une canonade à une grande portée.

Il faut admirer la hardiesse de quelques Chaloupes canonières Suédoises, qui osoient aller attaquer 20 bâtimens de différente grandeur. On ne conçoit pas pourquoi avec des forces si supérieures les Russes n'ont pas retiré les bâtimens, qu'il avoit réussi aux Suédois de maltraiter si fort. Ils ne l'ont pas fait; car le Prince de Nassau dit plus bas, qu'il les a trouvé sur le champ de bataille.

Nous aurons aprés occasion de parler des bâtimens pris par les Suédois.

Le Prince de Nassau n'étoit pas présent à cette attaque. Comment sait-il qu'aucun autre bâtiment n'a amené son pavillon? Sur le temoignage de ceux, qui peut-être ont honte de l'avoir fait.

A sept heures & demie les Chaloupes canonières ayant trouvé sous le feu le plus vif un passage entre des rochers, que l'on avoit apparemment cru impraticable, couvrirent par leur feu le travail, qu'il y eut à faire, pour faciliter le passage des galères. Ce ne fut qu'à 8 heures & demie, qu la première passa.

Le Touroma Sällan värre venoit de se rendre, ainsi que la Galère Cedercreutz. A l'instant toute l'Armée prit la fuite en désordre.

Selon le Prince de Nassau l'Armée Suédoise a tenu bon une heure au delà de ce qu'a cru le Roi de Suéde. Sans cela la refutation est parfairement d'accord avec la rélation, excepté, pour ce qui regarde la fuite en désordre, sur laquelle il se donne un démenti lui-mème un peu plus bas, en parlant de la belle défense de Mr. de Rosenstein, qui couvroit la retraite.

Ce n'est pas parceque la division venuë d'Aspö étoit maltraitée, qu'elle n'a pas empêché la retraite de l'Armée Suédoise, ainsi que je l'avois ordonné; mais je l'ai déjà dit. Mr. le Général Balay avoit voulu prendre une position, qui rapprochât notre jonction, & où il put attendre mon arrivée, n'imaginant pas, que je pourrois surmonter toutes les difficultés, qui s'opposoient à mon passage.

Je l'ai aussi déjà dit: Si le Général Balay a pu suivre les ordres de Mr. de Nassau, & qu'il ne l'a pas fait, on doit lui faire son procès. Le peu de confiance, qu'il a eû dans son Commandant Général est une chose impardonnable. Si l'on ne la punit pas, on risque de ne pas être cru.

Comme l'Armée Suédoise fit sa retraite de la manière la plus précipitée, les bâtimens de Mr. Balay se trouvant trop éloignés, ils ne purent plus se porter à la place, que j'avois indiquée, sans quoi pas un seul bâtiment de cette Armée n'eût pu se sauver.

Ici Mr. de Nassau parait faire un crime à l'Armée Suédoise de ne pas être allée assez lentement pour se laisser couper, mais le but de la retraite était de se sauver.

Il est faux, que deux Chebecs ayent peri; pas un seul n'a été assez matraité pour courir le moindre danger.

Il est faux encore, qu'un seul bâtiment ait été dèmâté, pas une vergue même n'a eté emportée, & les bâtimens, qui ont combattu, ont aujourdhui la même mâture, qu'ils avoient la veille du combat.

Ceci serait sans replique, si une contradiction était une preuve. Nous verrons plus bas, que le Prince de Nassau se trouve dans le cas de se contredire lui-mème.

Je commençai la chasse avec les Chaloupes canonières & les Galères les plus légéres. L'Héméma Oden qui avait été toute la journée dans le feu le plus vif, & qui était resté le dernier à s'opposer à notre passage, & qui par consequent était très maltraité, fut joint le prémier. Mr. le Cheval. de Rosenstein, qui commandoit en troisième l'Escadre, montait ce bâtiment; & les efforts extraordinaires, que cet Officier distingué a faits, ont retardé long têms notre passage. La Fregate Trolle fut prise ensuite avec ses Officiers, qui étaient tous à bord; excepté le Capitaine, qui ayant eû la jame emportée, avait été transporté à terre.

Monsieur de Rosenstein ayant eû 21 canons démontés, s'est défendu une heure entière avec un Canon & le feu de la Mousquetterie. Ce digne Officier s'est exposé pour couvrir la retraite de l'Escadre. Le Prince de Nassau rend justice à la manière, dont il s'est acquitté de cette commission; & par-là il donne un démenti formel à ce qu'il a avancé un peu plus haut, en distant: A l'instant toute l'Armée prit la fuite en désordre.

Il faut avouer, que l'Armée Russe ayant pris la Fregatte Trolle, le Prince de Nassau est à mème de savoir le nombre des Officiers, qui étaient à bord.

Le Touroma Ragvald fut pris ensuite, & ce ne fut qu'après minuit, que nous primes le Touroma Björn Järnsida, que montait Mr. l'Amiral. Comme il continuait à combattre, des Chaloupes canonières s'étant approchées pour l'aborder, l'on jetta du Touroma des grénades, qui firent sauter une Chaloupe canonière, dont l'équipage montait dèja à bord. La Chaloupe canoniére en sautant, mit le feu au Touroma, qui se rendit après que l'équipage eut éteint lui-même le feu.

Nous verrons plus bas, que l'Amiral ne montait pas Touroma Björn Järnsida.

Dans la liste, que fait le Prince de Nassau des pertes, qu'il a faites, il a oublié de mettre la Chaloupe canonière, qu'il dit avoir sauté. Nous supposons, qu'en sautant, elle fût perduë. Il s'en est souvenu, car il en avait besoin pour mettre le feu au Touroma. Qui peut nous garantir, que d'autres pertes ne lui soient pas échappées tout comme celle-ci. Quand on commande à de si nombreuses Escadres, on peut bien perdre des bâtimens sans s'en appercevoir. Au reste Mr. de Nassau peut savoir, qui a éteint le feu, mais difficilement qui l'y a mis.

C'est là, où a fini la chasse, la nuit trop sombre ne me permettant plus de distinguer la route, qu'avaient tenuë les 5 seuls bâtimens à 3 mâts, qui avaient échappé, avec 4 Galères, & quelques Chaloupes canonières.

Le reste étant resté dans le Kymène, je me décidai à y revenir, mais l'ennemi s'était empressé de mettre le feu à la plus grande partie des bâtimens, qui y étaient, & dont un grand nombre étaient chargés de vivres.

Je ne pûs sauver des flammes que deux bâtimens d'hôpitaux & une Chaloupe canonière.

L'obscurité de la nuit ne permettoit pas de distinguer la route, qu'avait tenu le gros de l'Escadre, qui s'était retirée, mais Mr. de Nassau savait, qu'elle n'était pas dans la riviére de Kymène, puis qu'il dit avoir pris la résolution d'y aller trouver le reste. Comment se peut-il donc, que l'Impératrice dans sa Lettre au Comte de Stackelberg ait dit, que l'Escadre Suédoise s'était retirée dans cette même riviére. Cette Auguste Princesse a dû croire aux rapports du Chef de ses Escadres, & ce Chef est le même Prince de Nassau, dont l'honneur est le garant de la vérité de tout ce qu'il avance.

Ce qui se trouvait dans la riviére de Kyméne, n'étaient que des bâtimens de transport, la plus part pris au Russes au commencement de la campagne, & quelques Chaloupes canonières, ce qui est constaté par ce que M:r de Nassau dit plus bas: On est occupé à retirer du canon, qui était sur quelques uns.

Au reste Mr. de Nassau parait en parlant de ce qui s'est passé dans la riviére de Kyméne un peu confondre les époques.

En prenant le vaisseau Amiral, je fus informé que Monsieur le Premier Amiral Ehrensvärd avait quitté son bâtiment & l'Armée à 7 heures & demie, pour se rendre auprès du Roi, & que de toute la campagne son pavillon n'avait pas été arboré.

C'est-à-dire: en prenant ce bâtiment, j'appris que ce n'était pas un vaisseau Amiral, puisqu'il manquait de tout ce qui pouvait le qualifier tel; la présence de l'Amiral & son pavillon.

Trente-huit Officiers, & dix, qui en ont le rang, ont été pris, avec 1,160 hommes vivants: le nombre des morts doit être proportionné à la durée du combat. Mr. de Fleetwood, qui commandait l'Escadre, depuis que Mr. le Premier Amiral l'avait quitée, est du nombre des Officiers tués. La perte des bâtimens, qui ont échappé, doit être calculée d'après ce qu'une Armée a dû souffrir, avant de se décider à prendre la fuite.

Le Baron de Fleetwood était un Officier d'un grand mérite. La Suéde le regrette, mais espére pouvoit le remplacer. Il est plutôt à craindre pour les Russes de ne pas pouvoir remplacer Messieurs Winter & de Varages, dont le dernier a été tué, par ces mêmes Russes, pour lesquels il combattait.

Le calcul que propose Monsieur de Nassau est trés défectueux. La durée du combat, quand on peut tenir l'ennemi à une grande portée, ne prouve rien; Monsieur de Nassau dit lui-même avoir peu perdu, non obstant les raisons qu'on a de ne pas le croire; & enfin toute Armée qui se voit sur le point d'être enveloppée par le nombre, prend le parti de la retraite. Il est glorieux d'avoir pu resister si long têms à des forces si supérieures.

Nous avons trouvé sur le champ de bataille la Bombarde & le Paquebot, que la division du Général Balay y avait laissés.

Mr. de Nassau devait les y trouver, car les Suédois les avaient abandonnés-là. Le Général Balay avait pris une position si éloigné, qu'il ne pouvait pas même couper la retraite aux Suédois. Par quel hasard ces bâtimens, qui étoient de son Escadre, se trouvaient-ils sur le champ de bataille? Si les Suédois ne les avaient pas pris, ils auraient au moins pu les prendre, s'ils avaient voulu; & pourquoi n'auraient-ils pas voulu? Ces bâtimens avaient été maltraités par les chaloupes canonières Suédoises, quoique l'Escadre de Mr. de Balay se tenait à une grande portée. Pourquoi Mr. de Balay a-t-il jugé à propos de les abandonner. Ceci est si louche, que loin de refuter, cela parait prouver la vérité de ce que la relation Suédoise avance sur les bâtimens pris.

Quant à l'Armée, que je commande, elle a perdu une Galère, qui a sauté; un boulet inflammable, tiré d'un des bâtimens de [l]'Armée Suédoise, ayant passé à travers la soute à poudre, la Galère, qui était à côté, fut submergée; mais tout l'équipage a été sauvé, ainsi que la plus grande partie de celle, qui avait sauté. La Galère, qui a été submergée, est actuellement en mer avec les autres.

Elle est donc revenue sur l'eau. La premiere nouvelle Russe portait la perte de deux Galères. La seconde ne parlait que d'une, mais nous sommes si accoutumés à ces variations de la part des Russes. Ordinairement quand un vaisseau saute, c'est l'affaire d'un moment, & la violente pression de l'air, ainsi que l'agitation de la mer, qui en resultent, étant momentanées, paraissent avoir dû rendre la submersion de la Galère, qui était à côté, si subite, qu'on ne peut pas assez admirer la diligence avec laquelle on a sauvé les équipages de ces deux bâtimens.

Il est faux, que j'aye été obligé de renvoyer des bâtimens dans les ports; pas un seul n'y a été envoyé pour être réparé.

Peut-être sont-ils trop endommagés, pour ponvoir [!] être réparés.

J'ai seulement pris les quatre Chebecs, qui avaient les plus de boulets à la flottaison, pour aider les bâtimens pris à porter les 1,197 prisonniers; & ils ont été escortés par une Frégate qui n'avait pas le moindre mal.

Peut-être n'a-t-elle pas été dans le feu. Il ne pouvait pas y avoir de la place pour tous les vaisseaux des Escadres Russes.

Ces bâtimens sont restés sur le champ de bataille tout le tems, qui a été nécessaire pour mettre ces bâtimens pris en état de se rendre à Cronstadt. Le Touroma Sällan Värre a chaviré trois heures aprés avoir été amariné à 100 toises de l'endroit, oû il avait été pris.

J'ai eû dans taut ce qui était sous mes ordres, 15 Officiers tuès & 47 blessés; Soldats & matelots 340 tués, & 597 blessés.

L'estaffette par Iaquelle nous avons eû la nouvelle de la bataille, ne nous a apporté aucun detail. Ce n'est que quelques jours après, qu'ils nous sont parvenues, & alors l'Ambassade de Russe a avoué 800 de tués & 1200 blessés. Depuis, de très bonnes Lettres de St. Petersbourg ont fait monter le nombre des morts à 1,500. Quelque tems après, quand les blessures avaient pu faire leur effet, de nouvelles très sûres des St. Petersbourg nous ont assûré, que cette journée avait couté aux Russes 2,600 hommes. Quelque confiance que nous croyons pouvoir ajouter à ces nouvelles, nous nous bornons à remarquer, que toute la Pologne doit à l'Ambassade de Russe le témoignage, qu' elle ne s'est jamais rendu coupable d'avoir exagéré les pertes de sa Souveraine.

Il est certain, qui si l'Escadre Suédoise n'avoit pas été battue, elle aurait peut-être remporté la victoire.

Cette refléxion est si platte, qu'elle parait plutôt sortie de la plume d'une vieille femme, que de celle d'un Contre-Amiral.

On a bien dit: Si le Maréchal Laudon en passant un ravin, qu'on croyait impràticable, n'avait pas sauvé les Russes, Frédéric II. aurait achevé leur defaite à la bataille de Francfort sur l'Oder. On a dit: Si les batteries flottantes n'avaient pas pris feu, elles auraient pu faire beaucoup de dommage aux Anglois. Le Roi de Suéde parait pouvoir dire: Si Svensksund n'avait pas été forcé, la victoire eût été à nous. Mr. de Nassau a oublié qu'un peu plus haut, il nous fait entendre lui-même: que si le Général Balay s'était trouvé là, où il n'étoit pas; pas un seul bâtiment de l'Armée Suédoise eût pu se sauver.

Je suis resté sur le champ de bataille parceque je n'avais plus rien à poursuivre. Les restes de l'Armée, que j'avais suivis jusqu'à 20 verstes de Lovisa, avaient eû le tems de s'y refugier.

Monsieur de Nassau se trouvait sur le territoire Russe; il avait devant lui tout le paîs ennemi, qui n'avait pas été entamé, & il se plaint de n'avoir eû rien à faire.

D'ailleurs mon projet était de couper la retraite du corps, où était le Roi; mes ordres étaient donnés pour cela, & je l'aurais exécuté le lendemain de la bataille, si des mesures à prendre, qui dépendaient uniquement de l'Armée de terre, me l'eûssent permis.

Cette retraite n'a pas été coupée.

Monsieur de Nassau donne donc des ordres avant que de savoir si l'on peut les exécuter.

Messieurs les Officiers Russes de l'Armée de terre! vous avez donc sauvé les Suédois dans cette occasion. Disculpez vous de la negligence, qu'on parait vouloir mettre sur votre compte.

J'ai été bien fâché d'avoir été arrêté huit jours; mais ce retard pourrait me servir aujourd'hui à prouver, que le reste de la Flotte Suédoise devait être en bien mauvais état, puisqu'elle ne s'est pas montrée, lorsqu'ayant mis à terre les troupes, qui montaient les Galères & Chaloupes canonières, je n'avais pour les couvrir que huit bâtimens à 3 mâts, ceux qui êtaient de l'autre côté des passes n'ayant pu encore les franchir, parceque l'étant pas achevées d'être nettoyées, les gros bâtimens ne pouvaient pas passer, & les autres étaient nécessaires pour le transport des prisonniers, dont le grand nombre me gênait. Je crois donc que c'eût été le moment de faire attaquer des bâtimens, qui étaient hors détat de tenir la mer.

L'Escadre Suédoise doit avoir souffert naturellement. Elle était sans cela si inférieure en forces, qu'il lui fallait une position un peu avantageuse pour ne pas être enveloppée. Elle ne pouvait donc pas sans témérité se compromettre, & elle ne pouvait pas savoir le jour & l'heure, où devoit se faire l'attaque, ni avec quelles forces.

Monsieur de Nassau n'avait que 8 bâtimens à 3 mâts, parceque les autres n'avaient pas pu franchir les passes, qui n'étaient pas encore totalement nettoyées. On demande comment étaient entrés ces 8 bâtimens. Les aures n'auraient-ils pas pu prendre le même chemin, ou bien celui qu'avaient pris les Suédois en se retirant. Ces derniers n'y avaient mis que quelques heures. Les Russes auraient bien pu le faire en 8 jours. Il faut donner de bonnes raisons, ou n'en point donner.

Pour ce qui regarde le transport des prisonniers, il ne devait pas beaucoup gêner Monsieur de Nassau, puis-qu'il nous a déjà dit plus haut, qu'il les avait transportés sur les bâtimens pris, auxquels il avait joints les 4 Chebecks, qui avaient le plus de boulets à flottaison (par conséquent le moins en état de servir): une fregate faisoit l'unique escorte.

Pendant le tems que je courais après l'Armée du Roi jusqu'à Aborfors, les bâtimens, que j'avais laissés sur le champ de bataille, s'emparaient des magasins & des bâtimens, qui étaient dans la rivière de Kyméne. Six chaloupes canonières furent brulées ce jour-là par l'ennemi, une seule fut prise entière avec quelques autres petits bâtimens.

Monsieur de Nassau se trouvant en haleine, pourquoi n'a-t-il pas couru un peu plus loin; les troupes Suédoises se trouvaient à Aborfors prêtes à le recevoir.

Les bâtimens de Mr. de Nassau doivent ne s'être emparés que de carcasses, s'il saut croire ce qu'il avance lui-même en disant:

La quantité de carcasses de toutes especes de bâtimens brulés, que l'on rencontre à l'embouchure du Kymène, est fort grande, & l'on est occupé à retirer du canon, qui était sur quelques uns.

La perte des bâtimens & Magasins, que cette retraite précipitée a occasionnée, est très considerable.

Comme elle n'a été forcée que par la descente, que je suis venu faire dans le Golfe de Koupitz, qui n'est qu'à trente verstes, c'est-à-dire à sept lieuës & demie de Lovisa, une Armée, qui aurait été aussi en état de tenir la mer, que l'on veut le faire croire, serait certainement venue chercher à s'opposer à une descente, qui devait occasionner la perte du poste le plus important de la Finlande.

Mr de Nassau a la complaisance de ne voir que lui dans toute ce qu'il y a d'avantageux dans cette affaire. Les Troupes Suédoises postées à Högfors furent attaquées en différents endroits tant du côté de la terre que du côté de la mer. La retraite devint nécessaire, mais elle ne fut point précipitée. On s'est retiré en bon ordre & les troupes debarquées à Broby dans l'intention de couper la retraite étant chassées, les Suédois se sont rendus à Aborfors sans beaucoup de difficulté & ayant perdu très peu de monde.

La perte des Magasins est considerable, dit Monsieur de Nassau, mais sans rien detailler.

Ayant exécuté à terre ce que je voulais y faire, en forçant la retraite du Roi, je suis revenu avec les troupes, que je commandais, reprendre les galères, pour me porter sur les côtes Suédoises.

Nous osons ici donner un dementi formel à Monsieur de Nassau. Il ne voulait pas forcer, il voulait couper la retraite, car il a dit plus haut: D'ailleurs mon projet était de couper la retraite du corps, où était le Roi. Le Roi n'y était pas. Le Général Platen commandait, en son absence, & il fit la retraite, en Officier entendu, devant des forces superieures. Ceux, qui se trouvaient sur son chemin, ont été chassés. Il a gagné Aborfors & s'y est posté de façon que Mr de Nassau n'a pas trouvé à propos de l'attaquer.

Là dessus Mr. de Nassau s'est rembarqué. Le voilà en pleine mer. Il ne depend plus des mesures de l'Armée de terre, ni de la manière de voir de Mr. Balay. Il veut se porter sur les côtes Suédoises, mais nous dit-il:

Les vents contraires m'arrêterent plusieurs jours, & un coup de vent très violent, que j'essuyais à 12 verstes de Lovisa, ne me fit perdre aucun de ces bâtimens, que l'on prétend se maltraités, mais il m'a cependant empêché d'exécuter les projets, que j'avais.

Monsieur de Nassau n'a pas perdu par-là un seul bâtiment. Il nous a dit, que toutes ses escadres ont encore les mêmes matures, que la veille du combat. Le Vent ne lui aura pas tué du monde. On ne voit pas pourquoi il est retourné à St. Petersbourg, tandis que les Galères Suédoises se sont battues sur les côtes de la Finlande avec des détachements de la grande flotte Russe, jusqu'a la fin du mois de Septembre, & peut-être encore au mois d'Octobre.

On laisse à juger à tous ceux, qui ne se laissent pas payer de verbiage, si tout ce que Mr. de Nassau a dit, ne prouve pas clairement, qu'après l'action du 24 Août il s'est trouvé hors d'état de rien entreprendre contre la Finlande Suédoise, & voilà de quoi il est question.

Le Roi de Suéde n'a attaqué l'honneur de personne. Voulant rendre justice à la valeur de ses Troupes, il a fait savoir à la Regence, qu'il avait établie à Stockholm, que 44 bâtimens Suédois avaient tenu tête à 110 bâtimens Russes depuis 10 heures le matin, jusqu'à 7 heures & demie le soir. Monsieur de Nassau dit jusqu'à 8 heures & demie, mais il n'a aucune objection à faire contre le nombre des bâtimens des deux cotés. Lui, qni [!] est entré en detail sur l'Escadre de Mr. Balay, pourquoi ne l'auroit-il pas fait sur le total, s'il y avoit eû moyen de contredire là-dessus la relation Suédoise.

Le Roi de Suéde dit: Nous avons perdu tels & tels bâtimens. Monsieur de Nassau dit: je les ai pris.

Le Roi de Suéde dit: Nous avons pris 3 bâtimens, que nous avons dû désarmer & abandonner durant la retraite. Monsieur de Nassau dit: je n'ai trouvé que deux, mais ils étoient là, où vous l'avez dit, & désarmés.

Le Prince de Nassau prétend s'ètre trouvé après l'action en état de tout entreprendre contre la Finlande Suédoise; le fait est qu'il n'en a rien fait.

Le Prince de Nassau dit avoir perdu peu de monde & de bâtimens. Nous ne répéterons pas ce que nous avons dit plus haut relativement à ceci. Nous nous contenterons d'observer, que le Prince de Nassau a oublié une Chaloupe canonière, qu'il dit avoir sauté. Ces sortes d'oublis arrivent quelquefois aux Russes. Après la bataille navale de Hogland l'année passée, on tâcholt de nous cacher à Varsovie, la perte du vaisseau de ligne le Wladislaw. Après la première fameuse affaire dans le Liman d'Oczakow, on nous en donnait des relations, qui ressemblaient à des poëmes épiques. Ce n'est que quelques mois après au retour de ceux, qui avaient été temoins oculaires, que nous avons sçu, que cette victoire se reduisoit à peu de chose, & que les Turcs avaient detruit une fregate de la marine du Liman; perte dont on avait oublié de faire mention dans la relation Russe.

La plus forte contradiction tombe sur des objets de détails, sur lesquels il est très pardonnable de se tromper & peut-être impossible de ne pas le faire, mais de se dire avoir pris le vaisseau Amiral, tandis qu'on fait, qu'il n'en existe pas de tel; de faire croire que la Flotte ennemie se trouve là, où elle n'est pas: Voilà deux points sur lesquels Mr. de Nassau a criminellement trompé l'Impératrice. Si les restes de l'Escadre Suédoise s'étaient trouvés dans la riviére de Kymène, ils n'auraient pas pu être sauvés. Il est à supposer que cette croyance a occasionné le ton d'assûrance, avec lequel les Ministres de l'Impératrice dans les differentes Cours de l'Europe ont promis à la Suéde des pertes & des malheurs. Promesses, qui n'étant pas tenues, ne previennent pas en faveur de ce qu'ils auront à avancer une autre fois.


*) de Varsovie, où la premiere Edition s'est faite 1789, in 12:o.


Remarques sur la lettre du Prince de Nassau au Roi de Suéde. Nouvelle edition.
à Stockholm, Chèz Jean Crist. Holmberg, 1790. 4to, 26 s.


Transcribed by Lars Bruzelius.


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